La mule du Pape 10

Après sa vigne de Château-Neuf, ce que le Pape aimait le plus au monde, c’était sa mule. Le bonhomme en raffolait, de cette bête-là. Tous les soirs, avant de se coucher, il allait voir si son écurie était bien fermée, si rien ne manquait dans sa mangeoire, et jamais il ne se serait levé de table sans faire
préparer sous ses yeux un grand bol de vin à la française, avec beaucoup de sucre et d’aromates, qu’il allait lui porter lui-même, malgré les observations de ses cardinaux… Il faut dire aussi que la bête en valait la peine. C’était une belle mule noire mouchetée de rouge, le pied sûr, le poil luisant, la croupe
large et pleine, – portant fièrement sa petite tête sèche toute harnachée de pompons, de nœuds, de grelots d’argent, de bouffettes ; avec cela douce comme un ange, l’œil naïf, et deux longues oreilles toujours en branle, qui lui donnaient l’air bon enfant… Tout Avignon la respectait, et, quand elle
allait dans les rues, il n’y avait pas de bonnes manières qu’on ne lui fît ; car chacun savait que c’était le meilleur moyen d’être bien en cour, et qu’avec son air innocent, la mule du Pape en avait mené plus d’un à la fortune, à preuve Tistet Védène et sa prodigieuse aventure.
Alphonse Daudet

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