La petite fille de M. Linh 43

Monsieur Linh sourit au souvenir de la tante, de sa bouche édentée, de ses yeux brûlés de soleil, cette femme aux marges de la vie qui regardait la mer en lui parlant comme s’il s’était agi d’un parent:«Te voilà, tu vois, j’ai fini par te trouver, je te l’avais bien dit, inutile de te cacher maintenant!»
La tante était partie du village une semaine plus tôt. Elle avait erré dans les rizières pendant des jours et des nuits. Elle y avait dormi et ses cheveux s’étaient mêlés de boue. Ses vêtements s’étaient arrachés aux ronces des chemins. Elle ressemblait à ce qu’elle était devenue: une folle, vieille et
épuisée, qui parlait à la mer et qu’il avait fallu prendre par la main pour la ramener jusqu’au village, et durant tout le voyage elle avait psalmodié des malédictions et des vœux, croyant voir dans les paysannes rencontrées des nymphes et dans les paysans courbés sous les palanches des mauvais
génies.
Philippe Claudel

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