La petite fille de M. Linh 22

La femme du premier jour, celle qu’il a surnommée en lui-même la femme du quai, vient chaque matin apporter des provisions et s’enquérir de la santé de tous. Une jeune fille l’accompagne. Elle sait la langue du pays. Elle sert d’interprète.
«Vous n’êtes pas encore sorti, Oncle? Pourquoi ne sortez-vous pas? Il faut prendre l’air!»
Il dit non, en silence. Il n’ose pas avouer qu’il a peur de sortir, d’aller dans cette ville inconnue, dans ce pays inconnu, peur de croiser des hommes et des femmes dont il ne connaît pas les visages et ne comprend pas la langue.
La jeune interprète regarde l’enfant, puis parle un long moment à la femme du quai. La femme lui répond. Elles discutent ensemble. La jeune fille reprend.
«La petite va dépérir si vous ne l’emmenez pas promener! Regardez, Oncle, elle a un teint si blanc, on dirait presque un jeune fantôme...»
Les mots de la jeune fille l’inquiètent. Il n’aime pas les fantômes. Il y en a déjà trop qui viennent le tourmenter dans ses nuits. Il serre un peu plus Sang diû contre lui, et promet de la promener le lendemain, si le temps n’est pas trop froid.
«Le froid ici, Oncle, lui dit la jeune fille, c’est comme la pluie chaude du pays, il faudra vous y habituer.»
La femme du quai s’en va avec la jeune fille interprète. Monsieur Linh les salue cérémonieusement, ainsi qu’il le fait toujours.
Philippe Claudel

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