La petite fille de M. Linh 16

La petite fille de M. Linh 15
On leur sert à manger une soupe. Il ne veut pas manger, mais la femme revient près de lui pour lui faire comprendre qu’il faut manger. Elle regarde la petite qui s’est endormie. Il voit le regard de la femme sur l’enfant. Il se dit qu’elle a raison. Il se dit qu’il faut qu’il mange, qu’il prenne des forces, pour l’enfant sinon pour lui.
Il n’oubliera jamais la saveur muette de cette première soupe, avalée sans cœur, alors qu’il vient de débarquer, qu’au-dehors il fait si froid, et qu’au-dehors, ce n’est pas son pays, c’est un pays étrange et étranger, et qui le restera toujours pour lui, malgré le temps qui passera, malgré la distance
toujours plus grande entre les souvenirs et le présent.
La soupe est comme l’air de la ville qu’il a respiré en descendant du bateau. Elle n’a pas vraiment d’odeur, pas vraiment de goût. Il n’y reconnaît rien. Il n’y trouve pas le délicieux picotement de la citronnelle, la douceur de la coriandre fraîche, la suavité des tripes cuites. La soupe entre dans sa
bouche et dans son corps, et c’est soudain tout l’inconnu de sa vie nouvelle qui vient en lui.
Philippe Claudel
La petite fille de M. Linh 16
Le soir, la femme conduit Monsieur Linh et l’enfant dans un dortoir. L’endroit est propre et spacieux. Deux familles de réfugiés y sont déjà installées depuis trois semaines. Elles ont pris leurs habitudes et leurs aises. Elles se connaissent pour être originaires de la même province du sud.
Philippe Claudel

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