Novecento: pianiste 78

Moi, j'y suis né, sur ce bateau. Et le monde y passait, mais par deux mille personnes à la fois. Et des désirs, il y en avait aussi, mais pas plus que ce qui pouvait tenir entre la proue et la poupe. Tu jouais ton bonheur, sur un clavier qui n'était pas infini.
C'est ça que j'ai appris, moi. La terre c'est un bateau trop grand pour moi. C'est un trop long voyage. Une femme trop belle. Un parfum trop fort. Une musique que je ne sais pas jouer. Pardonnez-moi. Mais je ne descendrai pas. Laissez-moi revenir en arrière.
S'il vous plait/
/
/
Et maintenant, essaie de comprendre, mon frère. Essaie de comprendre, si tu peux/
Avoir tout ce monde dans les yeux/
Terrible mais beau/
Trop beau/
Et la peur qui me ramenait en arrière/
Le bateau,encore et toujours/
Un petit bateau/
Ce monde dans les yeux, toutes les nuits, à nouveau/
Les fantômes/
Tu peux en mourir si tu les laisses faire/
L'envie de descendre/
La peur de le faire/
A force tu deviens fou/
Fou/
Il faut que tu fasses quelque chose, et c'est ce que j'ai fait/
J'ai commencé par l'imaginer/
Et après je l'ai fait/
Chaque jour pendant des années/
Douze années/
Des milliards d'instants/
Un geste invisible, et très lent./
Moi qui n'avais pas été capable de descendre de ce bateau, pour me sauver moi-même, je suis descendu de ma vie. Marche après marche. Et chaque marche était un désir. A chaque pas, un désir auquel je disais adieu.
Je ne suis pas fou, mon frère. On n'est pas fou quand on trouve un système qui vous sauve. On est rusé comme l'animal qui a faim. La folie, ça n'a rien à voir. C'est le génie, ça. La géométrie. La perfection. Les désirs déchiraient mon âme. J'aurais pu les vivre, mais j'y suis pas arrivé.
Alessandro Baricco

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