Ce fut à la troisième marche qu'il s'arrêta. Brusquement.
"Qu'est-ce qu'il y a? T'as marché dans une merde? "fit Neil O'Connor, un irlandais qui ne comprenait foutre rien à rien mais que ça n'empêchait pas d'être de bonne humeur, toujours.
" Il a peut-être oublié quelque chose, j'ai dit.
- Et quoi donc?
- Est-ce que je sais...
- Il a peut-être oublié pourquoi il descend.
- Dis pas de conneries."
Et pendant ce temps-là, Novecento, immobile, un pied sur la deuxième marche et un pied sur la troisième. Il resta comme ça une éternité. Il regardait devant lui, comme s'il cherchait quelque chose. Et il finit par faire une chose bizarre. Il enleva son chapeau, passa la main par-dessus la rampe, et laissa tomber le chapeau. On aurait dit comme un oiseau fatigué, ou une omelette bleue avec des ailes. Il fit deux ou trois volutes dans les airs, et tomba dans la mer. Il flottait. C'était un oiseau, évidemment, pas une omelette. Quand on a relevé les yeux vers la passerelle, ça a été pour voir Novecento, avec son manteau en poil de chameau, mon manteau en poil de chameau, qui remontait ces deux marches, en tournant le dos au monde, avec un drôle de sourire sur le visage. En deux pas, il avait disparu à l’intérieur du navire.
" T'as vu, le nouveau pianiste est arrivé, a dit Neil O'Connor.
- C'est le plus grand, parait-il", j'ai répondu. Et je ne savais pas si j'étais triste, ou bien heureux à en mourir.
Alessandro Baricco
Merci