La mule du Pape 22

La malheureuse bête n’en dormit pas de la nuit. Il lui semblait toujours qu’elle tournait sur cette maudite plate-forme, avec les rires de la ville au- dessous. Puis elle pensait à cet infâme Tistet Védène et au joli coup de sabot qu’elle allait lui détacher le lendemain matin. Ah ! mes amis, quel coup
de sabot ! De Pampérigouste on en verrait la fumée… Or, pendant qu’on lui préparait cette belle réception à l’écurie, savez-vous ce que faisait Tistet Védène ? Il descendait le Rhône en chantant sur une galère papale et s’en allait à la cour de Naples avec la troupe de jeunes nobles que la ville envoyait
tous les ans près de la reine Jeanne, pour s’exercer à la diplomatie et aux belles manières. Tistet n’était pas noble ; mais le Pape tenait à le récompenser des soins qu’il avait donnés à sa bête, et principalement de l’activité qu’il venait de déployer pendant la journée du sauvetage.
C’est la mule qui fut désappointée le lendemain. « Ah le bandit ! il s’est douté de quelque chose !… pensait-elle en secouant ses grelots avec fureur… ; mais c’est égal, va, mauvais ! tu le retrouveras au retour, ton coup de sabot,… je te le garde ! » Et elle le lui garda.
Alphonse Daudet

Log in to play

Comments