La petite fille de M. Linh 23

Le lendemain, pour la première fois, il sort du dortoir et retrouve le dehors. Il y a du vent, un vent qui vient de la mer et dépose un peu de sel sur les lèvres. Le vieil homme passe sa langue sur ses lèvres pour y prendre le goût du sel. Il a revêtu tous les vêtements que la femme du quai lui a donnés le lendemain de son arrivée. Il a sur lui une chemise, trois pulls, un manteau de laine un peu trop grand, un imperméable, ainsi qu’un bonnet à rabats. Il ressemble ainsi à une sorte de gros épouvantail boursouflé. Il a aussi revêtu l’enfant de tous les vêtements qu’il a demandés pour elle à la
femme du quai. On croirait qu’il porte dans ses bras un énorme ballon de forme oblongue.
«N’allez pas vous perdre, Oncle, la ville est grande!» lui ont lancé les femmes quand il s’est apprêté à sortir. Elles ont dit cela en riant.
«Attention à ce qu’on ne vous vole pas l’enfant!» a repris l’une d’elles.
Ils ont alors tous ri, les femmes, leurs fils et leurs filles. Les hommes aussi, qui ont levé les yeux. Ils ont ri en le voyant ainsi accoutré et l’un d’eux a crié, au travers de la fumée âcre des cigarettes que tous deux fument sans cesse en jouant: «Si vous n’êtes pas rentré dans un an, on préviendra le
bureau des réfugiés!» Il les a salués et il est sorti, terrorisé par ce que les femmes venaient de dire, à propos des enfants que l’on vole.
Philippe Claudel

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