La petite fille de M. Linh 151

Le vieil homme a compris. Il repose doucement sa tête sur le bitume. Le gros homme prend sa main. C’est une bonne chaleur qui vient en lui, par cette main. Monsieur Bark a envie d’embrasser tous ces gens attroupés, tous ces inconnus qu’il aurait assommés quelques instants plus tôt. Son ami est
vivant. Vivant! Ainsi, songe-t-il, ce peut être aussi cela l’existence! Des miracles parfois, de l’or et des rires, et de nouveau l’espoir quand on croit que tout autour de soi n’est que saccage et silence!
Le soir tombe. Le ciel est d’une couleur de lait, un lait sombre et caressant. Sang diû pèse d’un poids léger sur la poitrine de Monsieur Linh. Il a l’impression qu’elle lui donne ses jeunes forces. Il se sent renaître. Ce n’est pas une malheureuse voiture qui aura raison de lui. Il a traversé des famines, des guerres. Il a traversé des mers. Il est invincible. Il pose ses lèvres sur le front de la petite. Il a retrouvé son ami. Il sourit au gros homme. Il lui dit bonjour plusieurs fois. Monsieur Bark lui répond
«bonjour, bonjour», et ces mots répétés deviennent comme une chanson, une chanson à deux voix.
Philippe Claudel

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